Un phénomène très connu, mais encore peu compris.
“ Psssst… hé, hé mademoiselle ! Vous êtes vraiment très charmante.
V ous : (silence)
« Hé, mademoiselle, je te parle ! On peut discuter quand même ? »
V ous (d’une voix mal assurée) : « heu non »
«Allez sois pas comme ça, je t’ai fait un compliment tu peux sourire quand même? »
Vous pressez le pas, il vous suit.
Vous avez peur que les choses s’enveniment, qu’il s’énerve et devienne violent.
Cette scène vous est familière ? Pas étonnant, vous n’êtes pas la seule, ça s’appelle le harcèlement de rue et en France 81% des femmes ont déjà été harcelées dans un lieu public (selon un sondage IPSOS).
Parmi les 14/24 ans ce chiffre atteint des sommets avec 99% de filles ayant subi du harcèlement de rue selon le sondage de la newsletter Les Glorieuses.
Qu’est-ce que le harcèlement de rue ?
Le harcèlement de rue regroupe divers comportements déplacés la plupart du temps provenant d’un homme envers une femme dans l’espace public : la rue, les transports en commun, les parcs…
Il s’agit de sifflements, de bruits de bouche ou d’animaux, de commentaires à caractère sexuel, d’injonctions à parler et à sourire.
Quand la femme ne répond pas à ses demandes, le harceleur peut devenir agressif, insultant et même faire des menaces.
Il peut se mettre à suivre la victime ou pire à la toucher : nous ne sommes plus dans le cadre du harcèlement, mais bien de l’agression sexuelle (baisers forcés, attouchements, frottements, phénomènes qui sont bien connus dans les transports notamment).
Toutes les couches sociales sont concernées, les harceleurs peuvent être de tout milieu, toute origine et agir dans n’importe quel quartier
Il ne s’agit en aucun cas de séduction ou de drague, car il n’y a pas d’échange entre la victime et le harceleur.
Le harceleur impose ses propos à la victime et continue d’agir malgré l’absence flagrante de consentement quand celle-ci ne répond pas, baisse le regard, ou presse le pas pour qu’il arrête de la suivre.
Ce phénomène a longtemps été considéré comme de la drague un peu maladroite ou lourde, mais pas foncièrement méchante.
Quand les femmes osaient en parler, on leur répondait bien souvent (et encore aujourd’hui) des phrases du genre : “Oh, mais ce n’est rien ça, ce n’est pas bien méchant” .”Ça veut dire que tu as du succès, c’est flatteur profites-en ça ne durera pas toute ta vie”. “Ils ont bien le droit de tenter leur chance quand même”. ”.
Des impacts sournois
La détresse des victimes.
On a ainsi beaucoup minimisé voire ignoré l’impact sur les victimes et les femmes de façon générale or le harcèlement de rue est un vrai fléau.
Dans les faits, il s’agit ni plus ni moins de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle.
Les victimes rencontrent un réel désarroi et comme c’est souvent le cas quand il s’agit d’agression sexuelle elles éprouvent de la honte alors même qu’elles n’ont rien à se reprocher.
En imposant ses actes à la victime en public, le harceleur cherche à l’humilier et ça marche. Elle est prise au dépourvu, ne sait pas comment réagir et s’en veut de ne pas avoir pu gérer la situation.
Or une fois de plus, elle n’y est pour rien, ce n’est pas de sa faute et rien ne justifie qu’on s’en prend à elle.
Nous sommes à une ère post #METOO qui a permis à de (trop) nombreuses femmes de pouvoir s’exprimer et être entendues sur ce fléau et sur les violences faites aux femmes de façon générale.
Une inégalité femmes/hommes.
Il en résulte une occupation de l’espace public inéquitable entre les hommes et les femmes.
Beaucoup de femmes ont un fort sentiment d’insécurité quand elles sont seules dans la rue alors qu’il fait nuit soit avant 8h45 et après 17h en plein hiver.
Concrètement, les femmes sont encouragées à faire beaucoup plus attention quand elles se déplacent d’un point à un autre. Elles sont en alerte, car c’est une question de survie alors même que nous vivons dans un pays libre et en paix.
Elles s’accordent moins de liberté sur leurs horaires de déplacement, sur leurs tenues vestimentaires, mais aussi sur leurs attitudes.
Une robe et des talons ça attire l’attention et c’est moins pratique.
On préférera porter un pantalon et des baskets pour être moins visible et pouvoir courir si besoin; on aura également un visage fermé pour décourager quiconque de nous adresser à la parole.
Tout le problème est là : dans le but de se protéger, les femmes développent une tendance à se rendre invisibles ce qui a de forts impacts en termes d’identité.
Selon Martine Batt, professeure en psychologie à l’université de Lorraine et experte judiciaire auprès de la Cour d’appel de Nancy :
[ …]C’est une atteinte à la liberté de chacune. Sur le plan émotionnel, c’est un coup à la dignité, il provoque une blessure. […]
Que dit la loi ?
Jusqu’en 2018, le harcèlement de rue n’avait pas vraiment d’existence au sens pénal du terme.
Pourquoi ?
Tout simplement parce que la loi sur le harcèlement est très claire et s’appuie notamment sur la répétition des actions.
Voici la définition exacte :
« Le harcèlement est la répétition de propos et de comportements ayant pour mais ou effet une dégradation des conditions de vie de la victime. Cela se traduit par des conséquences sur la santé physique ou mentale de la personne harcelée. La loi punit les formes de harcèlement, en tenant compte de la fréquence et de la teneur des actes.
Par l’aspect furtif et très spontané du harcèlement de rue, il est impossible de parler de répétitions. Même si le harcèlement subi est réel, il ne rentre pas dans la catégorie « harcèlement », la victime n’avait donc aucun recours juridique possible, le système judiciaire n’ayant aucune mesure de répression contre ces actes.
Une évolution
Promulguée le 3 août 2018, la loi sur l’outrage sexiste ou sexuel tente de combler un vide juridique. L’égalité entre les hommes et les femmes est l’une des grandes causes du quinquennat du président Emmanuel Macron.
Pour cela, il est primordial de lutter contre les violences faites aux femmes avec entre autres des mesures répressives adaptées.
C’est ainsi qu’une nouvelle infraction a été créée : l’outrage sexiste ou sexuel . Avec cette loi plus besoin de la répétition des faits propres à la définition du harcèlement : « L’outrage sexiste consiste à imposer à une personne un propos ou un comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui lui porte préjudice. L’acte doit porter atteinte à la dignité de la victime, en raison de son caractère dégradant ou humiliant, ou l’exposer à une situation intimidante hostile ou offensante.
Par exemple, faire des commentaires à connotation sexuelle sur une femme qui passe dans la rue, la poursuivre, ou lui faire des propositions sexuelles.»
Elle permet de verbaliser et punir les harceleurs de rue parfois sans que la victime porte plainte si l’auteur des faits a été pris en flagrant délit par un agent des forces de l’ordre.
Le harceleur risque une contravention de 90 euros (1500 euros en cas de circonstances aggravantes), les récidivistes eux 750 euros d’amende.
Un stage pour les éduquer contre le sexisme peut également être mis en place.
Les limites de cette nouvelle loi
Les services de police étant déjà débordés avec les agressions sexuelles et les viols, on peut se demander combien d’enquêtes sur un outrage sexiste type sifflements et propose obscènes aboutiront à une condamnation.
Légiférer permet de punir, mais ne règle pas le problème de fond.
Le harcèlement de rue n’est qu’une infime partie des violences faites aux femmes. C’est le symptôme d’une société patriarcale où la culture du viol est omniprésente.
Dans une société où la femme est objectivée dès son plus jeune âge, où elle ne perçoit pas le même salaire à diplôme et poste égal, où elle est moins représentée dans les postes à responsabilités, il est difficile de lui accorder du respect.
Les harceleurs de rue ne sont pas des fous, ce sont souvent des hommes sexistes qui vivent dans une société sexiste et pensent qu’ils ont le droit d’agir en toute impunité.
Seules l’éducation et une tolérance zéro permettront aux femmes et aux hommes de cohabiter en sécurité, dans le respect et la sérénité.
Des solutions
Victime ou témoin, bien souvent on ne sait pas comment réagir.
Le harceleur joue précisément sur l’intimidation et la victime a mal à faire face car elle craint pour son intégrité physique.
Les témoins peuvent également avoir peur que la situation s’envenime et que le harceleur devienne violent physiquement envers eux.
Vous trouverez ici quelques conseils simples :
Si vous êtes victime :
- Demandez fermement à la personne d’arrêter.
Il n’y a aucune garantie qu’il arrête, mais cela vous permet de poser vos limites et de surmonter le sentiment d’impuissance.
Ne discutez pas, n’essayez pas de vous expliquer, vous n’avez pas à vous justifier et surtout les harceleurs sont des personnes qui se moquent bien de transgresser les règles sociales et les droits des autres.
- Demandez de l’aide.
S’il y a du monde autour de vous demandez de l’aide à une personne très simplement : « cet homme est carrément lourd, je peux discuter avec vous un instant ? »
Ou si vous marchez dans la rue, entrez dans un commerce et allez voir un membre du personnel.
Vous voyez une terrasse bien fréquentée ? Joignez-vous à un groupe et expliquez-leur la situation. Cela vous laissera le temps d’appeler la police, un proche ou même un taxi qui pourra vous raccompagner chez vous.
Ne partez pas seule, car il peut vous attendre et continuer à vous suivre.
- Enregistrez la situation : prenez-le en photo ou en vidéo discrètement.
Les photos, vidéos ou enregistrements audio vous seront utiles si vous décidez de porter plainte.
Attention, s’il s’en rend compte, il y a un risque qu’il devienne violent, de plus vous n’avez pas le droit de diffuser l’image de quelqu’un sur les réseaux sociaux et Internet sans son accord, ça pourrait se retourner contre vous.
Si vous êtes témoin :
- Soutenez la victime.
Allez la voir et dites-lui que vous avez compris la situation. Proposez-lui de rester avec elle.
Si vous êtes avec des amis, allez-y à plusieurs, l’union fait la force.
Si vous êtes seul(e) et que vous avez peur, expliquez la situation à une autre personne et proposez d’y aller ensemble.
- Faites semblant de la connaître et engagez la conversation
“Oh c’est marrant qu’on se croise comme ça, comment vas-tu, ça fait longtemps !"
- Alertez une personne responsable ,
Le chauffeur du bus si c’est dans les transports, un membre du personnel ou le gérant dans un bar, un agent de sécurité dans un centre commercial, etc.
- Prenez-le en photo ou en vidéo discrètement et prévenez la victime
Les photos, vidéos ou enregistrements audio seront utiles à la victime si elle décide de porter plainte.
Attention, s’il s’en rend compte qu’il y a un risque qu’il devienne violent, de plus vous n’avez pas le droit de diffuser l’image de quelqu’un sur les réseaux sociaux et Internet sans son accord, ça pourrait se retourner contre vous.
Des initiatives
C’est dans l’adversité que naît la force, mais aussi la créativité.
L’histoire de Pauline Vanderquand en est un parfait exemple : alors qu’elle est suivie dans une rue d’Aix-en-Provence, elle essaye de se réfugier dans un bar.
On lui refuse l’entrée, car elle ne correspond pas au dress code exigé.
Deux jours après, alors que ce n’est pas du tout son métier, elle crée l’application Garde ton corps .
L’application fonctionne avec la géolocalisation, elle propose une carte de la ville avec les bars, restaurants ou hôtels appelés « safe place » les plus proches où la victime peut se réfugier et sera soutenue par l’équipe de l’établissement.
Il y a également le bouton d’alarme qui envoie un message d’alerte avec la position GPS et le niveau de batterie du téléphone à des contacts choisis au préalable.
Lancée en 2019 à Aix-en-Provence, l’application est désormais disponible pour les Bouches-du-Rhône, Marseille et Paris.
-Déjà en 2015, Diariata N’Diaye avait développé l’application App-Elles avec l’association Résonance. En cas d’alerte de la part de l’utilisatrice, un signal est envoyé à 3 contacts de confiance.
L’application peut également être utilisée pour aider les victimes de violences conjugales, elle permet un anonymat total et prend l’apparence d’une application basique qui passe inaperçue aux yeux du conjoint violent.
-Les numéros d’urgence alerte SNCF
Mise en place pour prévenir de toutes les situations de danger, la SNCF a depuis beaucoup communiqué sur le problème du harcèlement sexuel dans les transports.
L’entreprise encourage les usagers à donner l’alerte par au 3117, SMS au 31177 ou via l’application Alerte 3117.
-Le gouvernement a lancé le plan Angela .
Il s’agit d’un réseau de lieux sûrs (commerces, pharmacie, bars, restaurant, hôtel, etc.) identifiables à l’aide d’un autocollant sur leurs vitrines.
Les femmes harcelées peuvent se réfugier et demander à parler à Angela. C’est un signal qui fera comprendre à son interlocuteur qu’elle est en danger.
- La Fondation des Femmes, L’Oréal Paris et l’ONG Hollaback! se sont associés pour créer le programme Stand Up.
Grâce à des professionnels, vous apprenez à réagir que vous soyez victimes ou témoins.
Lancée en mars 2020 dans les gares d’Île-de-France, l’opération est désormais dématérialisée, vous pouvez donc accéder au programme en lignes et à plusieurs réunions.
Inscriptions sur le site : /www.standup-international.com/fr